Ceci n’est pas un aurevoir

Je tiens tout d’abord à m’excuser auprès des deux ou trois personnes qui attendaient avec impatience de retrouver une petite image animée pendant les quatre derniers mois. La vérité est plus dure à supporter que prévu : oui, j’avoue, j’avais préparé ces petits gif pour vous, mais je n’ai jamais eu le temps ni l’envie de les partager. Certaines choses vous paraissent particulièrement drôle pendant quelques secondes, jusqu’à ce que votre sourire retombe et que la réalité reprenne le dessus. 

Mais assez parlé des promesses, la réflexion que je tiens à proposer aujourd’hui concerne quelque chose de beaucoup plus joyeux (non) : le destin social. 

Quand on parle du destin social, on fait souvent référence à ces parcours individuels qui semblent suivre un chemin tout tracé, qui paraissent si naturels qu’on pourrait trouver au moins une personne dans notre entourage qui s’y reconnaisse. La réalité nous démontre d’ailleurs rarement le contraire, on ne s’attend en effet pas à voir Kévin, fils d’agriculteur, se lancer dans une thèse sur l’interprétation des rêves dans la religion hindouiste, ou Marie-Thérèse, petite blonde à forte poitrine, diriger un commando de l’armée de Terre. Et pourtant, on ne peut pas nier que des Kévin et des Marie-Thérèse vivent leur passion dans notre société, sans se soucier de notre avis sur la question.

Le constat est plus vieux que le monde, bien que les discussions tendent souvent à le ramener à notre cher sociologue Pierre Bourdieu ; des structures régissent la vie des individus, ma vie, votre vie, notre vie. Elles sont liées à la fois à notre origine familiale, sociale, ou notre trajectoire de vie et les différentes épreuves que nous avons rencontrées… mais elles peuvent aussi s’ancrer sur notre apparence physique, notre sexe, notre genre, et notre âge. Si l’on parle souvent de ces structures, c’est parce qu’elles sont bien visibles, grâce à un outil bien pratique : les statistiques. Moins de 5% des Mélissa ont eu la mention Très Bien au bac ces dernières années, un peu plus de la moitié des élèves des formations sélectives ou des grandes écoles (notamment d’ingénieurs) étaient des garçons, et les enfants d’ouvriers ont continué à n’être que 5% dans les filières de doctorat (mais ceci dit, c’est toujours plus que les enfants d’agriculteurs comme notre Kévin).

Mais alors, si ces structures reproduisent sans cesse des schémas connus, n’y-t-il vraiment aucune place pour le changement ? Kévin et Marie-Thérèse sont ils destinés à n’être qu’une anomalie des statistiques, des personnes ayant miraculeusement trouvé un trèfle à quatre feuilles sur leur chemin ? Bourdieu nous dira que non, que ces structures laissent un peu de place pour que certains se faufilent entre les barrières, en espérant être acceptés dans un nouveau monde. D’autres vous diront qu’il n’y a rien de tel que ces structures, qui nieraient l’essence de l’Homme, à savoir son libre-arbitre. Le monde est au final bien plus complexe que ces deux visions, notre réalité est mouvante, les structures en changement, et les trajectoires individuelles sujettes à des épreuves, des rencontres, des opportunités. Kévin et Mare-Thérèse ont vu des portes s’ouvrir au fil de leur vie, et d’autres se fermer. Leurs actions les ont entraînés vers un chemin, puis un autre, les faisant dévier de leur trajectoire originelle, si bien qu’ils sembleraient totalement libérés de leurs chaînes.

Et pourtant, les structures restent. Face au chômage de la profession, Kévin finira par retourner dans sa Beauce natale, et Marie-Thérèse trouvera finalement un poste d’enseignante lors des Journées de Défense et de Citoyenneté, où les critiques finiront par se taire. Faut-il blâmer les structures ? Doit-on reprocher à Kévin et Marie-Thérèse de n’avoir pas assez essayé, insisté, travaillé ? Leur réussite était-elle programmée, ou bien étaient-ils partisans de leurs échecs ?

Si vous vous posez ces questions, alors peut-être, oui peut-être que tout n’aura pas été vain, peut-être qu’il me restera un peu de courage pour vous transmettre ces interrogations et vous donner envie de poursuivre la réflexion. Peut-être que dans trois ans, cinq ans, dix ans, des élèves se poseront la même question. Peut-être aurais-je enfin la réponse.

Les bonnes résolutions, un gentil petit mensonge…

Nous sommes le 1er Janvier 2015, il est 18h (enfin presque) et au lieu d’être en famille à me remplir la panse (tiens, ça me donne envie de Haggis), je suis à mon PC depuis mon réveil à 15h. Et vous savez-quoi ? Eh bien non, je ne culpabiliserai pas, pas plus que lorsque j’ai raté toutes mes bonnes résolutions de 2014. D’ailleurs, il est plutôt rare que ces résolutions fonctionnent, et on a pour habitude de les casser assez rapidement (environ 40 jours, à peine deux mois ! (1)). Raison de plus pour mettre un terme à toutes ces croyances populaires sur le self-control qui arrivent dans toutes les têtes (ou presque, j’imagine qu’une loi normale doit aussi s’appliquer à ça) au 1er Janvier. Non seulement le self-control c’est pour les personnes qui se sentent déjà capable d’atteindre leurs objectifs (2) mais en plus, la plupart des résolutions véhiculent des stéréotypes qui nous font plus de mal que de bien. Et avouons-le, parfois, ces résolutions sont juste débiles (oui, je sais, c’est pas sociologique de traiter des normes de débiles, parce qu’on est tous le débile de quelqu’un, mais j’ai quelques arguments pour le prouver !).

« Cette année, je me mets au régime ! »


Première des résolutions recommandées aux Etats-Unis, perdre du poids est incontestablement la plus célèbre. Malheureusement, elle est inutile, car la plupart des gens échouent (c’est pas moi qui le dit, c’est Marlatt et Kaplan (1)). Je ne prendrais donc pas cette résolution cette année pour plusieurs bonnes raisons :
-Prendre la résolution de perdre du poids pour la nouvelle année, c’est un peu paradoxal avec les 3 tranches de foie gras que vous venez d’engloutir, non ? Si vous craquez déjà dès le premier jour, ça promet !
-Si votre santé est en danger, et que votre médecin vous exhorte depuis 2 ans à réduire votre consommation de bière et pâtisseries, il est clair que vous auriez déjà du commencer plus tôt : c’est une nécessité, pas une résolution !
-Perdre du poids, c’est une injonction sociale, ça vous renvoie aux images des corps parfaits, aux critères de la beauté définis par des gens qui n’ont clairement rien compris à la morphologie humaine, alors si vous êtes en bonne santé : laissez passer cette résolution et arrêtez de vous torturer l’esprit quand vous avez avalé un chocolat « de trop » !
-Personnellement, je n’ai jamais réussi à perdre un seul gramme en mettant dans la tête qu’il fallait que j’en perde, alors cette année, c’est terminé, on arrête d’y penser !

Etre un peu plus mature

So « grown up » !

Chaque année, nous prenons un an de plus, et la sagesse de la vieillesse est sensée nous exhorter à devenir plus adulte. Quoique l’on fasse, on ne pourra rien y changer, il faudra bien un jour se mettre à remplir ses fiches d’impôt en plus de réaliser tous les ans son dossier pour les APL à la Caf, et de se débattre avec sa sécurité sociale. Ajoutons aussi les impératifs scolaires qui ne s’amenuisent pas avec le temps et vous avez ce qu’on appelle « être adulte », avec toutes les attitudes associées… Comme l’air maussade, les discussions bateau, les plaintes régulières, et l’angoisse de prendre des rides. Nous pouvons aussi ajouter des dîners entre « adultes » où un regard noir est adressé à la seule personne qui a osé jouer avec sa nourriture pour distraire l’assistance. Et donc en plus de tout ça, il faudrait perdre sa joie de vivre et de rire devant son dessin animé préféré, arrêter de porter des culottes à pois rouges, et ne plus lécher son assiette de profiteroles ?
C’est la déprime assurée, et cette nouvelle année ne portera pas ce signe !
Alors, oui, crions bien haut et fort « CETTE ANNÉE JE RESTERAI AUSSI IMMATURE QUE J’EN AI ENVIE » et je ferais des cacas papillons si je veux. Car comme le dit très bien un (vieux) sage « There is no point of growing up if you can’t be childish sometimes » !

« Etre soi »


Dans la lignée de la résolution précédente, « être soi » est pour le coup un injonction sociale qui ne cesse de se rappeler à nous… Etre soi, se concentrer sur sa personne… Dans n’importe quelle situation, familiale, professionnelle, ou autre, ceci revient souvent dans les discours.  Celle que j’ai rencontré le plus souvent en 2014 est notamment le « sois plus féminine ! ». Alors. Comment dire ? Si je préfère jouer à wow plutôt que me raser un dimanche matin, si j’ai envie de dire que mon étiquette me gratte les fesses et que j’ai pas changé de pyjama depuis 1 mois, c’est mon problème (enfin, pour le pyjama, à voir avec votre partenaire de lit, ça peut devenir un problème à un moment…). Non, je ne prendrai pas la résolution de me maquiller tous les jours en 2015 pour paraître « naturelle » (déjà que j’ai du mal à me motiver à porter des lentilles, faut pas pousser !), parce que je n’ai pas de temps à perdre le matin (ou au réveil, à 11h30…) ; non je ne porterai pas des talons tous les jours pour paraître plus grande, sexy, ou je ne sais quelle autre « devoir », parce que je ne sais pas si vous avez déjà essayé, mais à la fin c’est comme si vous marchiez sur une place de galets en hiver ; non je ne parlerai pas uniquement de leurs « petits copains » à mes soeurs, et de « travail, bricolage et sport » à mon père, parce qu’il y a beaucoup plus de conversations riches à avoir ;  non je ne siroterai pas mon cocktail mojito en 35 minutes plutôt que 10, parce que c’est soit disant « plus classe » ; et non, définitivement je ne serai pas limitée par ce qu’on attend que je sois !

Se coucher moins tard/travailler tôt

Yep, that’s my working-suit

J’admire beaucoup ces personnes qui continuent à se lever avant 8h après avoir quitté le lycée, et travaillent efficacement le matin, en rentant tôt (ou pas) chez eux le soir. Malheureusement, bien que ce rythme semble celui plus communément adopté par la société (si vous ne faites pas les 3×8) pour cause d’organisation familiale, je ne tiens pas à prendre absolument cette résolution cette année. Tout d’abord parce que me mettre dans l’ambiance « je me lève tôt pour aller conduire mes enfants le matin à l’école et aller au travail ensuite » ne me semble pas encore profondément intéressant, mais aussi parce que je pense qu’il serait fortement dommage de se fermer la porte à la productivité effarante de 20h à 22h. D’autant plus que de toute façon, cette année ne sera décemment pas l’année pour dormir, avec toutes les tâches scolaires qui nous attendent… Au mieux, nous dormirons à peine quelques heures, alors quel est le besoin de se prendre la tête avec cette résolution ? 

Mettre de l’argent de côté


Si vous avez de l’argent, il est temps de penser à épargner pour vous offrir un logement plus tard, ou une voiture, ou la collection collector des DVD de Star Trek. N’importe qui vous dira que cette résolution est fondamentale, et vous aidera surement en cas de besoin. Mais…
-Je procrastine beaucoup trop pour aller voir ma banquière, et j’ai peur d’être harcelée si je la contact pour un PEL.
-L’argent c’est la société de consommation, c’est pas bien ça non ? (Certes, il en faut bien pour se loger et s’alimenter, je vous reconnais cet argument)
-Non mais vous avez vu ces taux d’intérêts ridicules ???
Bon allez, je vous concède cette résolution, dans une banque coopérative, mon argent pourra peut être servir à quelque chose !

 

Boire moins


Non seulement il sera difficile de boire moins (ce qui reviendrait à « pas du tout »), mais savez-vous combien de vins et de cocktails loufoques il me reste encore à découvrir ? Assez pour ne pas prendre cette résolution au sérieux !
NB : si votre consommation dépasse un verre par jour, il peut être toutefois judicieux de considérer cette résolution.

Arrêter de passer son temps sur son ordinateur à procrastiner

Nope

En 2014, j’ai tout testé pour arrêter de procrastiner. Couper internet, travailler à la bibliothèque, ou avec un coach personnel, utiliser un jeu vidéo pour transformer mon travail en quêtes journalières… Et comme par hasard rien n’a fonctionné. Est-ce que pour autant j’en ai raté mon année ? Non, clairement, et j’ai découvert des pépites d’internet. Alors, arrêtons de lire des articles sur la procrastination et vivons à notre rythme avec nos mauvaises habitudes ! Si vous passez trop de temps sur Reddit ou Youtube, votre relevé de notes et votre prochain rendez-vous chez l’ophtalmologiste finiront bien par vous le faire rappeler !

Etre un.e « bon.ne » féministe


Bourdieu disait « la sociologie, c’est un sport de combat » et on pourrait tout aussi bien dire aujourd’hui « le féminisme, c’est un sport de combat ». Dans la liste des bonnes résolutions, un membre de ma famille m’a proposé de limiter un peu ce « féminisme qui (te) rend rabat-joie » et de « rire un peu plus », après ma forte critique du one-man-show d’Arthur sur TF1 dont les blagues sexiste ne me faisaient pas rire aux éclats. Non, ce n’est pas « ok » qu’un homme (dominant, donc) et « célèbre » fasse encore une fois des blagues sur les femmes blondes stupides et les brunes tentatrices (ou tout autre stéréotype) à une heure de forte audience, probablement pour un public non-averti qui se prend des clichés sexistes à la télévision toute la soirée. Alors non, en 2015, je n’arrêterai pas de répéter « c’est sexiste » à toute personne proférant ce genre de paroles sans s’en rendre compte, quitte à rester encore une rabat-joie. Non, certaines choses ne me font pas rire, et je vous expliquerai pourquoi, mais vous êtes libre de rire si cela vous chante. En cette année 2014 où la question « peut-on rire de tout ? » s’est plusieurs fois posée, je n’ai qu’à vous répondre : riez pour vous, mais n’imposez pas votre idéologie aux autres sous prétexte que vous la pensez meilleure ! 

Devant tant de défis impossibles, je vous souhaite tout de même une très bonne année…

 

(1) Marlatt, G. A., & Kaplan, B. E. (1972). Self-initiated attempts to change behavior: A study of New Year’s resolutions. Psychological Reports, 30(1), 123-131.
(2) Mukhopadhyay, A., & Johar, G. V. (2005). Where There Is a Will, Is There a Way? Effects of Lay Theories of Self‐Control on Setting and Keeping Resolutions. Journal of Consumer Research, 31(4), 779-786.