sociologie

Francesco Alberoni – Je t’aime

Il y a deux ans, je suis passée à Gibert Joseph (aka THE librairie parisienne pour étudiants), dans l’espoir de trouver un livre intéressant. Oui, cela m’arrive souvent, de me promener dans des librairies sans rien chercher, en espérant tomber sur une merveille. Ce jour là donc, j’ai acheté deux livres différents. Je t’aime de Francesco Alberoni (Poket bien sur), ouvrage de sociologie, et Une brève histoire de l’avenir, de Jacques Attali (ouvrage politique ? écologiste ? je ne saurais dire).
Un an plus tard, je n’avais fini aucun des deux livres, qui trônaient toujours sur ma table de chevet, me regardant ironiquement, l’air de dire « de toute façon tu es tellement fainéante que tu nous termineras jamais ».
C’est vrai, je l’avoue, je ne terminerai jamais ces livres. Pourtant, ce sont tous deux des livres passionnants ! Entendre parler de l’amour dans la société ! Chercher à le comprendre ! Et retourner dans l’histoire voir nos erreurs ? Quoi de mieux ? 
Mais voilà, le problème est que j’avais l’impression que ces deux livres ne m’apprendraient rien, qu’ils ne seraient là que pour synthétiser un savoir que j’avais déjà. Cela signifiait : PRENDRE DES NOTES. Et prendre des notes sur un livre qu’on a envie de lire tranquillement sur la plage, c’est pas cool.

Deux ans plus tard, pourtant, j’ai repris Je t’aime, d’Alberoni. En une ou deux heures à peine, j’ai repassé les grands chapitres, relu plusieurs fois des paragraphes. Et j’en ai conclu qu’il fallait en discuter (enfin, un peu, pas des heures non plus hein).

Je ne sais pas exactement quel était le but de l’auteur, dans son ouvrage, ni quelles étaient ses méthodes (interviews ou statistiques ? on ne voit pas de statistiques en tout cas, mais beaucoup de références à des romans… spécificité de la sociologie italienne ?).
Le livre donne plus l’impression d’être un catalogue, un résumé des divers états de l’amour. Comment l’amour naît, vit, s’éteint. Quelles sortes d’amour on trouve en société (l’amour des parents, la passion, l’amour pour les stars, l’amitié…). Les effets de l’amour sur la vie personnelle, sur la société. Les valeurs associées à l’amour, les différentes pratiques. Les structures sociales de l’amour (comme le couple) ou bien les effets de l’amour sur la psychologie.
On peut dire que l’auteur touche à tout.

Il existe quand même une certaine structure dans cette étude de l’amour. D’abord, l’auteur définit exactement ce qu’est l’amour, et beaucoup de choses ne le sont pas. Son concept, l’énamourement, est peu novateur. C’est cet état psychologique et affectif qui fait de nous des barbes à papa, qu’on sache ou non pourquoi. C’est un attachement, une condition première à tous les autres désirs comme il le dit lui-même. On retrouve l’idée d’un état hors de la conscience (un peu comme l’histoire de l’homme séparé en deux par Zeus, raconté dans le Banquet de Platon). L’amour serait même la condition première à l’établissement d’une communauté ou d’une société.
Bref, l’énamourement, ou l’amour, on voit bien ce que c’est.

Suivent les descriptions sur la naissance de l’amour, qui sont aussi « obvious » qu’on peut l’imaginer, comme le coup de foudre, les affinités, l’amitié à l’amour… (je vous renvoie au chapitre 5) Puis sur l’amour lui-même et la peur de la perte, le plaisir, la jalousie…  Et vient ensuite un chapitre assez intéressant sur l’amour en société, l’effet de la société sur l’amour ou le contraire. Dans cette partie, j’ai trouvé un point intéressant à étudier qui est le suivant :
Selon l’auteur, l’amour est le même pour tous, qu’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, homosexuel(le) ou hétérosexuel(le). Cependant, il existe des différences de significations entre hommes et femmes en fonction des mœurs et valeurs d’une société, d’après Alberoni. Par conséquent, dans une société où les valeurs traditionnelles sont encore présentes, les hommes considèrent que l’amour est significatif de plaisir, mais la morale les oblige à respecter les termes du pacte conclu par amour et à continuer à prendre soin de la personne aimée même après une séparation, au risque de se sentir fautif. Selon lui, les femmes n’ont pas cette obligation morale ou responsabilité. Ainsi, quand un homme trompe sa femme, il se sentirait plus mal de fait de l’obligation, tandis que la femme ne ferait que suivre son cœur. Cette vision m’a semblé moralisatrice, pénalisante pour la femme. Et même si l’auteur rajoute qu’avec l’indépendance de la femme, l’homme se sent de moins en moins responsable, on voit toujours un modèle patriarcal dominer en société…
Le fait est que beaucoup de questions morales sont liées à l’amour. Si l’amour est un plaisir plus qu’une valeur morale, certains comportements sont admis alors qu’ils ne pourraient pas l’être. Alberoni note que la modernisation tend à rendre la doctrine du plaisir plus présente aujourd’hui. L’exemple des adolescents qui pensent qu’il leur faut quitter une fille jolie pour une autre encore plus jolie sans problème et sans conséquences, montre que la responsabilité est faible à l’adolescence. Et cette tendance continuerait à présent à l’âge adulte, laissant la loi du plus fort régner. 
Je pense cependant que cette question de responsabilité n’est pas en train de disparaître dans la société. Sinon, pourquoi créer encore des contrats comme le mariage ? Certes, le taux de nuptialité est sur la pente descendante, mais quid de la responsabilité ? Il est possible qu’entre temps le nombre de consultation chez un psychologue des personnes séparées ait pu augmenter significativement. 

Il existe différents types d’amour, comme l’amour pour les idoles (une personne charismatique, quelqu’un qui ne sera jamais atteignable, l’amour pour gagner un statut économique ou social, l’amour pour la compétition), et bien sur l’amour consolation. Aucun chiffre ne permet de savoir la proportion de ces types d’amour par rapport à l’énamourement (l’amour véritable), et je trouve cela dommage. Certes, l’auteur peut faire référence à Persée ou Don Juan, ou Roméo, mais il manque certaines données pour connaître la situation actuelle. 

Au dixième chapitre, on peut trouver un schéma très compliqué sur le renoncement à l’amour, qui peut être altruiste ou égoïste (j’ai cherché un lien avec Durkheim, mais renoncer à quelqu’un que l’on aime par peur de voir une relation changer, ou faire souffrir une personne, m’a semblé surtout anomique…). Toujours est-il que je n’ai pas compris ce schéma et attends avec joie que quelqu’un vienne m’éclairer. 

J’ai trouvé aussi un peu de sociologie de Bistrot dans le paragraphe sur l’amour qui se transforme en haine par vengeance, revanche, alliance ou oubli. Certes, nous avons besoin de typologies simples, mais celle-ci me semble simpliste. Que dire d’une haine créée par la société par exemple ? 

Je pourrais continuer à vous résumer ce livre encore, mais un résumé d’un résumé serait ennuyant. Certains points développés par l’auteur sont intéressants, on apprend à déchiffrer certaines étapes, faire des listes, comprendre en quoi certains actes sont reliés à l’amour. Cependant, pour moi, il manque un approfondissement, qui transformerait ce livre en autre chose qu’un catalogue. Alors oui, j’ai ressorti ce livre, je l’ai feuilleté en essayant d’en tirer le meilleur, en très peu de temps. Peut être n’ai-je rien compris du tout à l’amour, au final.